Journal de marche du lieutenant Abehanne.

          Il fit tomber la cendre de sa roulée au bas du rempart. L’aube avait bien entamée sa descente de nuit. La visière de son képi protégeait son regard d’un soleil déjà brûlant. Au pied du fortin, la vie s’animait sous le regard paresseux de la sentinelle.

 

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Quelques poules venaient caqueter ici où là, un vendeur de fruits fumait une garot assis derrière ses étalages et un peu plus loin des enfants nu-pieds couraient derrière une vieille truie.

 

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Le lieutenant Abehanne, du 24e d’Infanterie, se demandait pourquoi il était venu se perdre ici. Ici c’était Port Joséphine. Port Jo pour ses habitants. Bourgade fluviale coincée dans une boucle du fleuve Jamapa qui allait mourir dans la baie du Veracruz, ceinturant par le sud la petite cité de Port Louis.

Adossé au merlon près de lui, l’adjudant-chef Archibald était en train de bourrer sa pipe.

-« C’est une sacrée lame que vous avez-là mon lieutenant… »

En effet, dans un fourreau placé horizontalement au bas du dos, le lieutenant Abehanne portait une dague italienne.

 

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L’adjudant-chef alluma sa pipe, et tira une longue bouffée. Des volutes de tabac épicé vinrent caresser les narines du lieutenant Abehanne. Blaise Archibald se cala le dos plus confortablement sur le merlon :

-« Ce genre d’attirail n’est autorisé par le commandement que pour les vétérans de la Guerre des Deux Empires… »

Emilio Abehanne resta immobile, semblant revenir dans son passé :

-« Et c’est un fait, adjudant-chef Archibald. »

Le vieux sous-off se fendit d’un léger sourire tout en regardant aller la fumée émanant de sa pipe…

… Le lieutenant sourit aussi.

 

          La chambre était spartiate, comme le sont toutes les chambres d’officier en garnison à l’autre bout du monde. Emilio Abehanne était assis à son bureau situé au centre de la pièce, qui était une simple table en bois avec une chaise bringuebalante.

Une carte sommaire de la région était étalée, maintenue sur les bords par sa dague, une lampe tempête, son révolver et un recueil de poésie de Charles Baudelaire.

 

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Adossé à la chaise, le torse luisant de la chaleur déjà prégnante du matin. Ses yeux fixes et reposés, sont regard comme en partance vers un horizon intérieur.

Les Terres Chaudes portaient avec une implacable simplicité la dénomination que les indiens du cru leurs avaient donné, pensa-t-il…

Un tatouage sous la forme d’un vers italien lui barrait le haut de la poitrine, d’une clavicule à l’autre : « La mort viendra, et elle aura tes yeux ».

Quelques coyotes affamés gueulaient dans la pampa auxquels répondait un chien de ferme famélique… Les Terres Chaudes.

On vint frapper à la porte. Le lieutenant leva les yeux :

-« Entrez… »

La porte mal équarrie s’ouvrit en trainant un nuage de poussière faisant place à l’adjudant-chef, son brûle-gueule fumant parmi sa barbe épaisse :

-«  Mon lieutenant, je vous apporte le café. »

Abehanne sourit tandis qu’Archibald déposait le quart sur le bureau de son supérieur.

Ce dernier se redressa sur sa chaise et prit en silence une gorgée du jus que son sous-off lui avait préparé. Son visage se plissa dans une légère grimace :

-« Ton café est salement digne d’un corps de garde. »

-« Le nectar du corps de troupe mon lieutenant. »

Emilio tout en reprenant une gorgée regardait Archibald un sourire coincé aux coins des yeux.

-« Il risque d’avoir une descente de la prévôté mon lieutenant. Des gars à nous ont fait un peu de barouf dans la nuit. Deux lascars manquent à l’appel, surement enchristés chez le prévôt justement. »

Le lieutenant posa son quart en douceur et vint passer la main dans ses cheveux :

-« Je me demande si l’idée de nous coller des cognes à nous renifler le cul est judicieuse. Après tout, nous sommes en campagne et tout les hommes des cette section sont tous tricards que se soit à l’armée ou dans le civil… »

-«  le caporal Jeantet est mort ce matin aussi. Notre effectif est réduit d’un quart. »

L’adjudant-chef reboura sa bouffarde comme pour clôturer son rapport.

Le lieutenant soupira :

-« Cela fait pas trois mois que nous sommes en poste ici et le vomito negro nous décime plus implacablement que le mexicain… »

 

          Le prévôt était là, assis face au lieutenant Abehanne. De sa tenue réglementaire, il n’avait gardé que sa veste où l’on pouvait voir sur les manches, couvrant tout l’avant-bras, un entrelacs de broderies dorée, rappelant son grade de lieutenant de gendarmerie. Il n’avait pas daigné retirer son sombrero, couvre-chef exotique que fournissait l’intendance pour les troupes opérant sous ses latitudes surchauffées… Il possédait une fine moustache sombre, aussi droite que la justice rigide qu’il représentait à Port Joséphine.

Le chef de la prévôté le toisait de son regard sombre et profond.

Cinq bonnes secondes ont passé ainsi…

Bien calé dans sa chaise, le lieutenant de gendarmerie Hémery a entamé les « pourparlers »… :

-« Lieutenant Abehanne. Il semblerait que deux de vos hommes aient occasionné du grabuge hier soir…Mes hommes ont été forcé de les mettre aux arrêts. »

-«  Il semblerait que cela soit la procédure… Lieutenant Hémery. »

Le prévôt esquissa un léger sourire :

-« Il est parfois difficile de canaliser sa meute sous ces latitudes lointaines… »

-« Mais nous avons de la chance d’avoir de bon mâles alpha. »

Le lieutenant Abehanne sourit à son tour.

-« Mais je ne suis pas venu uniquement pour régler des querelles de territoire lieutenant Abehanne. Vous n’êtes pas sans savoir, que les espagnols, dans le but de récupérer cette ancienne colonie, se battent dans les faubourgs de Puebla, et son en passe de rentrer dans la ville. »

-« Notre présence ici-même est dû en partie à leur désir d’expansion en effet… »

Abehanne avait lâché du regard le prévôt pour s’allumer une cigarette :

-« … Et en échange du sacrifice de nos carcasses, les royalistes espagnols nous donnerons en concession Port Louis et Port Joséphine, mais aussi et surtout le champ libre au Maroc et au Sahara Occidental. Mais notre roi, Louis 20e mise sur un cheval empêtré dans une guerre civile tripartite entre républicains, francistes et… Royalistes. »

Abehanne tendit une cigarette au lieutenant Hémery qui l’accepta.

 

Du 24/01/2019 Au 03/05/2020

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18/02/2019
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