Saudade Aspirine...

SAUDADE ASPIRINE

 

 

Le soleil était léger en cette fin de matinée. Il diluait quelques filets de bronze sur un ciel blanchâtre, avec ici et là, des carrés de résistances bleutées. J’en étais là, à regarder l’azur du fond du jardin, torse nu, frais de sueur. Ainsi, depuis neuf heures je retournais les six mètres carré de l’ancien potager de mes parents. Du coin de l’œil je voyais ma mère se servir un verre de blanc sec dans la cuisine afin d’huiler ses derniers rêves.

Il me restait l’équivalent de deux sillons pour achever la besogne, qui du reste n’était pas contraignante et me reposait l’esprit. Je m’y attelais avec une conviction bizarre comme un devoir à accomplir. Je plantais la bêche d’un bras avec force, et sautais sur celle-ci à pieds joints pour entailler profondément cette terre brune, grouillante d’une vie indifférente à la clarté du jour.

Au bout d’un quart d’heure dans un rythme sans pensées, le travail était terminé. Appuyé à l’outil, je demeurais sans bouger, enveloppé dans la sensation sur mon dos du contact de la sueur avec un vent sans violence, qui venait de s’éveiller. Au même moment, debout devant la porte-fenêtre de la cuisine, ma mère m’appelait pour me demander si je voulais boire quelque chose. Elle avait cette fausse gentillesse dans la voix, comme ce rapport d’offre à la demande ; mais à tout prendre cela restait de la gentillesse. Je lui répondais que oui et, tout en remettant mon t-shirt, je la rejoignais sur la terrasse de béton gris pâle.

En arrivant à sa hauteur, ma mère me demandait avec cette voix saupoudrée de gêne, ce que je voulais boire, tout en serrant ses mains sèches d’avoir fait tant de vaisselles. Il y avait cette fine distance entre nous, comme un lointain souvenir mal partagé. Mais quel souvenir ?

Après ma réponse brève, elle me tendait un verre de Fanta pétillant, embué de fraîcheur. Je la remerciais simplement.

Passé quelques secondes de silence bien appréciées, je me décidais :

-          « Il rentre à quelle heure papa ce soir ? »

-          « Vers, 20h00. »

On laissait filer encore quelques billes du temps. Puis, ma mère reprenait comme à la poursuite d’une certaine inquiétude :

-          « Tu veux lui demander quelque chose ? »

Une volée de merles quittait à grand bruissement le peuplier du jardin d’en face. Je terminais de siroter mon orangeade à gaz :

-          « Non, non, juste comme ça. »

Juste comme ça. Juste comme ça, je me remémorais une partie d’une enfance éclairée par une absence. Juste pour rectifier un mauvais départ, mon père travailla furieusement pendant quinze ans, entre un sale boulot et les cours du soir. Jalonnant son vide par des menus cadeaux - des petites voitures -, comme des phares signalant une côte attirante mais abrupte. Une côte attirante mais abrupte… Que reflétait cet acharnement, cette espèce de surpassement à mes yeux, qui malgré le fossé que cela créait, n’entamait jamais l’admiration de lui, la fierté d’être une partie de lui.

A présent, il rentre plus tôt (un peu plus tôt…) ; possède sa maison, ses deux voitures, son chien, ses trois enfants et, une femme qui huile un peu le tout. Et de tout cela, je gardais la sensation d’un écran fumigène, comme une existence en camouflage.

L’ingénieur - chef de service -, dans l’angle d’une morale qui m’avait dit :

-          « Tu vois au bout de vingt-cinq ans de boulot, je commence à peine à m’éclater. »

D’un érable penché, un corbeau agrafé telle une pince à linge emportait dans son envol bruyant, ses reflets bleutés et ses réflexions, du jardin des vietnamiens. Vietnamien était le terme générique pour définir les hommes du Sud-est Asiatique en général. A savoir d’où ils venaient vraiment, je crois qu’en général, tout le monde s’en foutait. Ils restaient des gens aux rumeurs floues, sans ondes à la surface du lac, appréciables à tout prendre dans une zone pavillonnaire.

Je me relevais à la manière de quelqu’un de courbaturé, tel un ancien, revenant de quelques plages spatio-temporelles, où voguent des souvenirs plus ou moins bienveillants. J’aimais me faire cette fiction, comme pour me donner un peu d’importance (même devant un public imaginé). Je caressais lentement ma barbe peu épaisse malgré ces deux jours de sursis, tout en plongeant mon regard dans ce qu’était feu le potager pour me reposer du travail accomplit (une certaine fierté pointait). Déjà des razzias de merles et de grives, constellées d’un ou deux rouges-gorges, qu’encadrait une multitude de moineaux dénichaient des vers mis à nu dans cette parcelle déchirée. Triste existence, que celle du lombric à l’heure du labour. De toute façon, la vie du lombric c’est tels nos voisins les vietnamiens, en général on s’en fout et, je n’irai pas installer une plaque commémorative pour ce massacre (biologique et sans polluants aucun !) auquel j’ai allègrement participé.

Voyant mon verre vide, ma mère me demandait si j’en voulais un autre. Ma réponse était concise et négative. Ses attentions qui me semblait altérées par je ne sais quelle sensation de non-gratuité, ou anxiété, m’agaçait en même temps que cela m’apitoyais (tendrement).

L’air se rafraîchissait quelque peu. De ce fait, une fine langue de vent venait me faire frissonner les avant-bras et, contrariait les plans d’un petit arachnide qui y déambulait. Pendant que ce dernier faisait un splendide rappel de trente-cinq centimètres environ, pendu par l’abdomen, je me pourléchais discrètement le bord de ma lèvre supérieure afin d’y capter quelques grammes de sucre orangé. Ceci accomplit, je me levais avec douceur, allais déposer, sans heurt, mon verre (tiède à présent) sur la vieille table de bois de la cuisine, où de la crasse ocre y était incrustée dans des sillons séculaires. Ma mère me suivait, le teint rubicond, les mains jointes et, le regard à terre, telle une poule recherchant des vermisseaux ; elle, c’était le fil de ses pensées. Sa seule véritable compagnie dans sa solitude de femme au foyer.

Femme au foyer. C’était sa fierté à elle, mais payé au prix fort : sa solitude. C’était dans cet interstice de son être, que je percevais sa vraie pudeur et, c’était là, que je l’aimais. Cet épandage intérieur, (mon interstice à moi), me faisais l’effet d’un frimas acidulé, comme ce goût de vomissure en fond de gorge après avoir bien déjeuné.

Ma main encore au contact de mon verre, je lâchais, promptement :

-          « Laisse mon verre, je reboirai plus tard. »

-          « D’accord. » 

Qu’elle glissait dans un souffle ; lointaine.

Puis, tout aussi vif, telle une couleuvre réveillée par la pénombre soudaine, je me coulais dans le dos de cette mère, évitant le mieux possible un effleurement trop brûlant pour un sang-froid.

Repassant par la terrasse, je lançais un regard au ciel tel l’aurait fait ce vieux paysan de mon imaginaire, cet autodidacte du cumulostratus, les yeux plissés et, pigeant bien que le

soleil avait beau ferrailler, le fond de l’air resterait frais.

Dans la maison, au passage de la cheminée (premier grand chantier ; l’élévation d’un mythe) je chipais une cigarette à ma mère, menthol-ultra-light, à des fins moins avouables qu’était ce faux larcin. Mon œil s’attardait un temps court sur la salle-à-manger ; la télé était en branle comme chaque matin, je supposais à cette même heure, où entre des tranches de pubs un feuilleton disséquait dans un bocal d’eau de roses les trépidations embryonnaires de familles riches en mal de tout (névrose, quand tu me tiens…). Face à cette dernière se posait le canapé de velours vert, où, sur un des accoudoirs marqués d’une déchirure avaient été laissé un magazine de romans photos faisant, pensais-je, un fade clin d’œil aux pantins télévisuels. Rien n’avait vraiment changé depuis mon départ, même mon père n’avait que troqué ses anciens moments comblés de cours, par d’autres activités qui réclamaient elles aussi leurs parts de minutes, d’heures, de journées. Devant la photo encadrée me représentant à l’âge de trois-quatre ans, accrochée au mur bordant l’entrée de ma chambre, telle une borne frontière, je songeais à l’avenir proche de cet enfant au sourire édenté et, aux boucles claires.

 

          Allongé sur le lit, torse nu, le dos subissant, impassible, les picotements de la couverture bordeaux ; la même que je traînais depuis l’enfance, depuis l’achat de lits superposés pour mon frangin et moi, quand on partageait une même chambre, dans notre cité HLM du Val de Fontenay. C’était ce temps d’avant.

Les mains croisées sur l’arrière du crâne, je ressentais la chaleur de l’épiderme de fait de ma coupe rase. J’aimais ce touché qui m’apaisais comme la main d’une mère sur son ventre rond berce l’enfant ; moi c’était mes illusions avortées. Les mêmes je supposais qu’une tripotée de jeunes gens qui se branlaient le cortex pour se donner, qui sait ? De l’importance ? Moi, encore lui, c’était par fatigue.

Mes yeux roulaient dans leur orbite comme au réveil d’un long sommeil pour se réapproprier le décor. Ce dernier, loin d’être spartiate restait rudimentaire. Que des meubles traînés depuis l’enfance. Le bureau, une longue planche lisse et blanche posée sur des tréteaux métalliques, dont la chaise en bois clair, était maculée de différentes taches, résultat d’une multitude de chantiers. L’armoire, un montage de contreplaqué fonctionnel, économique, achetée à l’hypermarché – dieu notre sauveur – de Torcy. Sur ma droite, une petite étagère peinte grossièrement en blanc, datant de loin, confectionnée par mon père ; vestige du studio non chauffé de Montreuil Sous-Bois. Sinon, dans un désir faussement personnel (qui sait ?), des pans entiers de mur étaient tapissés de couvertures, agressives, rouges, du magazine Raids, revue me semblais-t-il créé par d’anciens paras ou mercenaires.

Du souvenir enfantin à la nostalgie par intermittence. De cette nostalgie, aux regrets ; socles aiguisés mettant à nues des haines. Quelqu’un en moi s’ébrouait, pressentant l’engagement poisseux qui se profilait et, moi-même, dans un sursaut tel un futur noyé se raccrochant une ultime fois à son débris de planche, je me levais prestement de mon lit. Cette précipitation ne manqua pas de provoquer un léger étourdissement, par le chemin duquel, je percevais, l’ennui et le sentiment tenace que quoi que je puisse faire, cela n’aboutirait qu’à un final tronqué, sinon avorté. Ca y était, je m’embourbais. A l’image de cette photo représentant une reconstitution d’une scène de vie du pléistocène dans un de mes vieux livres sur la préhistoire, où un mastodonte s’engluant dans une mare de goudron, un smilodon poignardant sa croupe de ses deux canines immenses entraîné à sa

suite dans sa baignade funèbre.

De ma main gauche je me frottais doucement la partie inférieure du visage. J’aimais sentir la multitude de picotements sur ma paume. Cette fine barbe, qui à stade plus avancé, se teintait de quelques reflets roux. Ce qui me valais à coup sûr, de vives réprimandes de la part de Fabienne, tant pour l’effet roussâtre, que pour ces mêmes picotements que j’affectionnais.

Fabienne,

Fabienne,

Fabienne…

Il ne m’en restait que l’affection d’un regard d’or roux et, le picotement de son absence.

Je l’avais rencontré quelques années auparavant, en vacances, aux Ménuires. Un été dans les alpages où j’allais pouvoir m’imaginer pâtre solitaire affalé sur les flancs des montagnes. Mais avais-je imaginé cinq jours doucement poignants au cœur ?

Non !

N’était espéré qu’une calme et pleine solitude. Pas la tendre brûlure d’un regard d’ambre en fusion. Une certaine amorce de l’enfer en fin de compte…

Cette torpeur de menthe et d’eau se dissipait prestement au passage d’un car A.M.V. En effet, ce vieux bus, blanc, sale et déglingué me sauvait de la tasse en s’arrêtant à l’arrêt placé à dix mètres de la maison. Même si salvatrice à ce moment précis, cette cacophonie terrible, hurlante, suraiguë, un braillement de freins et d’amortisseurs devenant au cour de la journée irritant au possible.

J’étais debout ; face à la porte-fenêtre les mains dans les poches. Le regard dehors. Ce dehors à la clarté blanchâtre. Allait-il pleuvoir ? Je ne pensais pas. Si tout à l’heure, dans le jardin je faisais le météorologiste de campagne, à présent je m’improvisais marin essayant de déceler une quelconque tempête. Mais même si le soleil avait filé en catimini, ramenant ses ors et ses bronzes, on le pressentait toujours là, en embuscade. Donc, faute d’apercevoir un ouragan – même minuscule – sur ma goélette mouillant dans ma chimère, je voyais, remontant la rue, tête baissée une sacoche noire à la main, une ancienne connaissance (presque préhistorique) datant du collège Léonard de Vinci. Sûrement la période de ma seconde quatrième. C’était Cathy. Une antillaise un peu enveloppée, pas forcément jolie, mais une âme qui devait avoir au goût, la douceur d’un sucre roux. Son regard, dessiné par deux yeux noirs en retraits, ses pommettes en parapets de ces derniers, hautes, tout en arrondis et, son sourire qui avait l’éclat de la discrétion. Tout cela dans son ensemble reflétait, tout en aigu, une certaine mélancolie pudique, une gentillesse brute, sans compromis et, un effort dans la tâche proche de l’abnégation ; plusieurs fois l’avais-je vu pleurer pour une note mal comprise, pour une appréciation mal perçue.

Pour ces différentes petites fêlures qu’elle avait à l’âme, par lesquelles s’échappait une luminosité attendrissante, son visage, son personnage dans sa totalité, restait comme une bougie encore en fonction dans un recoin, un détour de ma mémoire. Je la regardais s’éloigner et mes yeux à ce moment devaient être une longue prière de compassion, de bonheur souhaité.

Je restais debout, encore. Les mains dans les poches, toujours. Le dos un peu plus voûté. Derrière cette porte-fenêtre, en silence. Le rideau de « dentelle » blanc me cachait au monde. Moi, il me semblait que je me cachais du monde. Qui d’ailleurs, roulait bien sans moi. Tournant la tête sur ma gauche, je voyais mon t-shirt posé avec soin sur le dossier de la chaise. Je le mettais, car je commençais à avoir un peu froid. Un froid qui me faisait

penser à la sensation d’une mauvaise caresse ; la caresse de la fatigue, nimbée de désillusion. Le regard dans un vide blanc et, immobile, face à mon bureau, je tripotais machinalement le bas de ma manche gauche, là où il se trouvait un accroc occasionné lors de ma première rencontre avec Logan, un labrador fauve. Il avait deux mois, moi, vingt-deux années dont deux que je venais de passer en Guyane dans le cadre d’un Volontariat Service Long Outre-Mer, au sein du neuvième Régiment d’Infanterie de Marine. Volontaire. Devançant même l’appel. La Coloniale ; je l’avais cherché, recherché, désiré même, à la grande incompréhension de la totalité de mon entourage, de Fabienne en particulier… Et je l’avais regretté dès le premier jour d’incorporation, c’était en août, un été chaud et humide : suffocant à l’âme et au cœur. Seule ma grand-mère maternelle m’avait indélébilement marqué, elle qui avait connu les deux guerres. J’étais venu la voir, afin de lui dire au revoir avant mon départ pour Fréjus pour y faire mes classes et, de là, l’Amérique du Sud.

Ma grand-mère aux yeux bleus. Si Léo Ferré avait son Pépé le chimpanzé, moi, j’avais, mémé la bougnat, ses mercredis, ses Danettes à la vanille, ses biftecks sanguinolents de graisse chaude, son patois, son Cantal, mon respect d’enfant, son affection.

J’avais vingt ans et, venais lui dire au revoir. Ses yeux dans son passé, tête basse, elle me dit :

-« N’y va pas ; va pas te faire casser la gueule… »

Elle seule avait su me dire les mots qu’intimement j’attendais et je ne sais pourquoi.

Deux ans plus tard elle disparaissait et je ne pouvais embrasser son visage de cire me répétant seulement que moi aussi – je voulais avoir les mains de la mort ! - .

Je sentais à cette évocation du passé, pas si lointain, pas si cicatrisé que cela, que les larmes venaient battre le rappel d’une tristesse libératrice, d’une colère sourde, retenue, contenue contre une existence fade, en demi-teinte. Une vie fondée sur les non-dits, l’absence, les petits secrets puérils, les mensonges.

Je replonge mon regard dans le creux de ce ciel qui devient de plus en plus gris. Il me vient quelques vers que je m’empresse de noter sur un petit carnet vert : « La pluie est une étoile humide / De nudité le ciel est fait ». Je repose mon carnet au centre du bureau et je ressens le bienfait, simple et pur d’avoir écrit. Je regarde mon lit et cette vieille couverture bordeaux toute peluchée, et me remémore l’adolescence et ce fameux jour où j’avais listé mes cinq vœux à accomplir avant la fin de mon séjour sur terre… C’était le printemps je crois. J’écoutais une émission à la radio, sur France Inter : « Va voir là-bas si j’y suis ». Et un des invités avait dit, qu’une vie d’homme réussi ce sont des rêves d’ado concrétisés. D’où ma liste de cinq choses à faire à tout prix.

 

 

 

Copyright HugoLeMaltais.blog4ever.com

Du 02/12/1999 Au 16/10/2018

 



27/03/2013
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