Guy Goffette
Guy Goffette
La poésie comme une fontaine oubliée
De Gil Pressnitzer (espritsnomades.com)
La poésie est le journal intime d'un animal marin qui est sur terre et qui veut voler.
Il aura écrit plus de vingt recueils de poésie et deux biographies poétiques : Verlaine d'ardoise et de pluie (1995) et Elle par bonheur et toujours nue (1998) consacré au peintre Bonnard au travers de Marthe son modèle, sa femme sur le tard.
Et pourtant Guy Goffette aura longtemps erré, chapeau noir vissé à la tête dans les chemins creux de la renommée. Un court roman « Un été autour du cou », l’aura fait mettre dans un halo de lumière, grâce à un parfum de scandale autour de l’initiation sexuelle d’un jeune campagnard Simon, mais plus vraisemblablement Guy Goffette lui-même, même s’il affirme : « je ne suis pas totalement Simon ».
Lui-même garçon de la campagne belge, (Né le 18 avril à Jamoigne, en Lorraine belge), fils lui aussi d'un père à poigne, aurait tant voulu comme Simon que l’autre, la femme ogresse, le considère :
«Si elle m'avait aimé seulement, rien qu'un peu, même pour rire».
Il sera instituteur pendant 28 ans à Harnoncourt, à la pointe méridionale de la Belgique, où il a construit sa maison à flanc de colline.
Il se lance dans l’aventure de l’imprimerie et de l’édition de revues. Sa passion artisane du livre se retrouvera plus tard avec ses livres illustrés par Fagniez. Il sera même un temps critique littéraire, mais le son du blues noir américain et une profonde remise en question lui feront lâcher toutes les amarres, comme pour un voyage initiatique:
« Je me disais aussi : vivre est autre chose que cet oubli du temps qui passe et des ravages de l'amour, et de l'usure (...)". Il fallait fuir aussi la cruauté de l’amour. »
Il reviendra à Paris vers l’année 2000, lecteur pour les éditions Gallimard. Il aime les enfants, les jardins, les femmes et le café crème qu’il a dû arrêter d’ailleurs, et les livres et il est toujours émerveillé par la beauté du monde.
L’onde transparente des mots de Goffette
L’écriture de Goffette a la transparence de l’eau, elle est claire et évidente, mais elle coule sûrement vers la mer.
Des ablettes passent entre ses mots.
Je me disais aussi : vivre est autre chose
que cet oubli du temps qui passe et des ravages
de l'amour, et de l'usure (...)
Sa poésie vous tutoie instantanément, elle est traversée d’une couleur d’automne, d’un regret de l’enfance qui nous la rendent familière, nous l’avons déjà entendue au fond de nous-mêmes il y a toujours.
Elle s’attarde au niveau des choses quotidiennes et simples et semble une nappe de dimanche sur une table en bois.
L’étonnement et la ferveur nous font signe de les suivre dans ses mots qui sèchent sur la corde à linge de tous les jours. Bien sûr au côté il y a une blessure que nous ne voyons pas mais d’où s’écoule le sang des désespoirs simplement proférés à mi-voix comme on rentre les chiens, comme on rentre les mots quand la nuit est trop forte en nous.
Sa petite musique presque proche de Verlaine, qu’il aura approché comme nul autre, est le bruit doux de la pluie sur des vitres embuées d’enfance. Les rêves se traînent de l’autre côté de la vitre, on passe la main sur les carreaux pour voir un peu et l’on tombe sur ceci :
Le jardin est entré dans la cuisine
avec le cheval ivre et le ruisseau lointain
parce que la table était ouverte
à la page la plus blanche de l’été
là où convergent toutes ces routes
que tisse le poème
pour l’aveugle immobile
mains posées sur le bois
la pointe du couteau fichée dans la mémoire.
Extrait de “ Éloge pour une petite cuisine de province”
ou bien cela :
Couteau et peigne sur la table
l'un près de l'autre avec
le silence sur eux
plus profond que la mer
Entre ces phares l'histoire d'une femme
Qui trancha seule
Les amarres du jour
Ceci ne se commente pas, mais se respire, et nombreux sont les poèmes de Goffette qui ont cette magie blanche de la douceur perdue à jamais. Il tresse rempailleur des chaises des émotions l’osier des bonheurs ou des malheurs simples Il crie « j'aime la vie ! », la réciproque n’est pas prouvé.
Son enfance timide, pleine de plaies et de bosses, solitaire lui remonte à la gorge. Et l’humour lui sert souvent de parapluie contre l’averse.
Ses textes lui permettent de continuer encore « un dialogue avec son âme profonde, une fulgurance ». Par des textes brefs il emprisonne des sentiments qui ondoient. Et il use des mots « pour nommer la calamiteuse détresse de ces jours mal endimanchés, de ces dimanches mal emmanchés ».
Verlaine, Rimbaud, Neruda et la Bible sont ses lectures sans cesse recommencées. Il dit être entrer en poésie comme on entre en religion :
« Le temps d'apprivoiser les mots/les oiseaux sont partis/reste la paille/dans l'œil du paysage ».
Les poèmes sont aussi restés et plus que d’autres recueils celui d’Éloge. Il aime Francis Jammes autre naïf en poésie et lui veut parler aussi la langue des simples, le bonheur des simples.
Parfois on peut penser à la lumière de René-Guy Cadou par cette rosée des origines qui sourd de ses textes :
Puis la nuit brusquement
retire son échelle
et comme s'il tombait de plus haut
le mot amour dans les vitrines
éclabousse comme du sang
le visage du matin
La nuit en province tombe dans les yeux bien avant l'âge
comme si la musique bleue autour du temps
devenait plus insupportable à cause de l'aventure
des branches des oiseaux saouls de vertige
- et leurs voiles tissés d'attentes de regrets
les veuves en garnissent le front ridé des fenêtres
dont les plis se resserrent encore au passage des filles peintes : trame
d'une vie jetée comme la nuit
dans un bas sans couture.
Celui qui marche en attendant la mer
Une matière crisse sous le poème, un silence « plus profond que la mer » s’y repose aussi sous les déchirures. Une longue marche se fait dans ses textes, marche pour retrouver son visage oublié dans un coin. Son écriture crée un espace d’attente, elle est là, on peut deviner son souffle derrière la porte des mots, elle a tous les prénoms des femmes aimées et perdues.
Vivre est autre chose veut simplement dire Goffette, flâneur dans sa propre vie. Beaucoup d’objets sont nommés, caressés avec le langage pour prendre la patine du temps qui nous passe dessus. La trace des fougères, ni celle des sangliers, ne doivent pas s’effacer en nous.
Cette mélancolie des ciels bas, des ornières du temps s’adresse « à toutes les musiques errantes, à tous les temps des âmes vacantes, à tous les souffles des lointains reconquis et abandonnés ». Ce langage qui s’égoutte dans chaque mot nous prévient que nos rêves nous déborderont toujours. Quelques auberges où s’attable l’enfance et un peu de chaleur et l’on repart voyageur d’ombres et
l’on ne sait plus
si c’est le temps qui passe ou nous
qui passons à travers lui, les mains vides,
comme un train somnambule à travers
la campagne endormie (…) .
Goffette ne porte pas toujours à son cou le bas noir de la Monette mais l’écharpe lourde des enfances égarées, des amours disparues dans les fossés de la vie. Il vit le « déchirant bonheur d'être nu parmi les ronces ».
« Est-ce qu'on peut retenir un nuage en lui attachant les ailes aux pieds de la table ? », « Capturer l'ombre qui bouge en lui sautant dessus ?...», Goffette a trouvé un moyen plus sûr, l’écriture.
Ainsi que son compatriote Jean-Claude Pirotte, la tentation de repartir seul sur les routes l’aura pris, lui aussi. Pour simplement être en accord avec lui-même : « Je vis, je fais ce que j'ai envie ».
Il garde en lui le goût du givre, grand déambulateur il est en partance comme une caravane plantée au bout de son jardin, et qu’il appelait déjà « Partance ».
Et ses voyages mobiles ou immobiles passent.
Au fond, les vrais voyages sont immobiles. Immobiles et infinis. Solitaires. Silencieux. Souvent, ils commencent dans une chambre où l’on est enfermé parce qu’il pleut.
Du vent, des nuages gris, un air d’accordéon, des odeurs de cuisine grasse dans ces paysages où il attend la mer et voit les peupliers pleurer.
Il semble un homme abandonné dans le paysage lourd et bas mais qui veut entendre les nouvelles du ventre de la terre.
« Il était une fois dans une chambre d’hôtel un homme à sa fenêtre qui attendait la mer. »
Ainsi commence et se terminera l’histoire de Goffette avec cette « impression de n’avoir jamais commencé, d’être là depuis toujours à attendre que ça veuille bien se mettre en branle. Quoi ? je n’en sais rien. La vie promise, peut-être. »